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« ERDOGAN ASSASSIN », LES ARMÉNIENS DE France DANS LA RUE POUR LES COMMÉMORATIONS DU GÉNOCIDE
Meurtrie par le conflit dans le Haut-Karabakh contre l’Azerbaïdjan, alliée de la Turquie, la diaspora arménienne a défilé à Paris, Lyon ou encore Marseille samedi pour commémorer le 106e anniversaire du génocide. Lors cette journée du souvenir, certains manifestants ont exprimé un sentiment d’insécurité inédit dans leur pays d’accueil. Reportage. Le pasteur Gilbert Leonian dormait à poing fermés lorsqu'ils sont venus mettre le feu à son église. Il était 6 heures, un dimanche matin à Alfortville en banlieue parisienne. Le service à l'église protestante arménienne ne commençait pas avant plusieurs heures. C'est sa femme qui s'est réveillée en entendant le bruit d'une poubelle remplie d'essence projetée contre la porte principale. Le temps qu'il se lève pour aller à la fenêtre de la chambre située au premier étage, la poubelle était déjà en feu.
"J'ai pensé que l'église et les escaliers étaient en train de brûler et que nous allions mourir", raconte le père Leonian. Heureusement, les flammes n'ont fait que noircir la porte de l'église. Mais cette même semaine, une autre dégradation avait eu lieu contre le bâtiment quelques jours après la visite d'un pasteur irakien. Nous étions alors en 2017 et selon la communauté arménienne, ces attaques seraient de plus en plus nombreuses en France. "Je me sens moins en sécurité", confie Veskan, lors d'un rassemblement à Paris pour le 106e anniversaire du génocide de 1915-1918 au cours duquel environ 1,5 million d'Arméniens ont été tués par l'Empire ottoman. En 2001, la France a officiellement reconnu le génocide arménien et en février 2019, le président français, Emmanuel Macron, a décrété que le 24 avril, le jour où les massacres ont commencé, serait désormais un "jour de commémoration nationale".
Plus d'un siècle après le génocide, une foule est réunie devant la statue du compositeur arménien Komitas dans le 18e arrondissement de Paris. "Le génocide continue", lancent les manifestants avant de marcher le long de la Seine pour se diriger vers l'ambassade turque.
"Erdogan Assassin !" crie une foule indignée par l'opposition véhémente du président turc Recep Tayyip Erdogan à la reconnaissance du génocide arménien.
Jeunes parents, enfants en bas âge, adolescentes enveloppées dans le drapeau arménien, trois générations ont défilé en tête de cortège sous un soleil radieux. Certains montrent des photographies de héros de la résistance arménienne.
D'autres portent des pancartes sur lesquelles le président Erdogan apparaît sous les traits d'un diable ou d'un meurtrier. "Hitlerdogan", peut-on lire sur l'une d'entre elle.
Le conflit dans le Haut-Karabakh qui a opposé en 2020 l'Arménie et l'Azerbaïdjan, alliée de la Turquie, est également dans toutes les têtes.
La colère de la diaspora n'a cessé de grandir à l'encontre du président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, après la terrible défaite de l'Arménie et la perte de pans entier de son territoire.
"Erdogan leur a donné confiance" Mais au-delà de l'humiliation de la défaite et de l'angoisse concernant le sort des 300 prisonniers politique arméniens détenus en Azerbaijan, la diaspora s'inquiète des violences perpétrées par des groupes ultra-nationalistes turcs sur le territoire français.
"C'est terrifiant", affirme Sabrina Davidian, 39 ans qui arbore une pancarte où il est écrit : "La Turquie, sortez de l'Arménie". "Que les tentacules de la Turquie parviennent à s'étendre jusqu'en France, c'est comme si la campagne de haine contre les Arméniens n'avait jamais cessé".
De nombreux manifestants se disent aussi préoccupés par les incidents qui ont eu lieu à Décines-Charpieu, dans la banlieue de Lyon.
Le 28 octobre, alors que la guerre au Haut-Karabakh faisait rage, des centaines de sympathisants du mouvement d'extrême droite des Loups Gris ont défilé dans les rues en appelant à mettre "à mort les Arméniens". La France a interdit le groupuscule des Loups Gris en novembre 2020, mais dans la communauté arménienne, personne ne croit que le mouvement s'est réellement dissout.
"Ils sont où les Arméniens ?", criaient les assaillants à travers la ville, brandissant des barres de fer et des drapeaux turcs en hurlant des slogans pro-Erdogan et vandalisant des magasins arméniens.
"On se serait cru en Allemagne dans les années 1930", assure Sevag, un ami de Veskan, un jeune arménien de la troisième génération, agité et nerveux, qui comme la plupart des personnes présentes à ce rassemblement, n'a pas souhaité donner son nom complet. "Ils n'auraient jamais osé faire ça il y a dix ans", ajoute-t-il avant le début de la commémoration.
"Erdogan leur a donné confiance. Il les finance, l'ambassade turque ici, c'est son arrière-cour". Selon Sevag, la communauté arménienne a même commencé à renforcer la sécurité de ses écoles et de ses associations et a embauché des gardes du corps.
Le jeune homme se dit furieux que l'instigateur des attaques de Décines-Charpieu, Ahmet Cetin, 23 ans, qui a publiquement appelé à la violence contre les Arméniens sur les réseaux sociaux, n'ait été condamné qu'à six mois de prison avec sursis et 1 000 euros d'amende.
"Mais imagine un jeune de 16/17 ans qui entend ces propos. Il voit qu'il y a une école arménienne; il va se dire 'bon je vais faire le taf'" Tigrane Yegavian, journaliste et chercheur au Think Tank Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), alerte sur l'instrumentalisation de ce conflit ancien dans l'Hexagone.
"C'est très dangereux ce qui est en train de se passer. C'est inquiétant si rien n'est fait en France – on va vers un climat de guerre civile pratiquement", ajoutant que les Arméniens n'ont jamais eu de problèmes à s'intégrer partout dans le monde, excepté en Azerbaïdjan et en Turquie.
"Nous ne sommes pas dans l'agressivité"
"J'ai rien contre le peuple Turc, rien", promet Ian Manook, écrivain de 71 ans dont le dernier roman s'inspire de l'histoire de sa grand-mère, vendue aux Turcs comme esclave lorsqu'elle avait 10 ans.
"On partage la même cuisine, la même musique, presque la même danse, j'en veux à l'État... et à Erdogan qui joue avec le feu". "Ils sont toujours là", croit savoir Pierre, qui porte un T-shirt à la gloire de l'Artsakh, l'ancienne province arménienne qui correspond globalement à l'actuel Haut-Karabakh. Il assure avoir été suivi au mois de décembre par une voiture portant l'insigne des Loups Gris et que le chauffeur aurait fait le geste de ralliement du mouvement dans le rétroviseur. Si certains s'inquiètent de voir les autorités françaises ne pas prendre suffisamment au sérieux cette menace, les manifestants espèrent dans le même temps que la reconnaissance du génocide par le président américain Joe Biden conduira d'autres pays à soutenir l'Arménie.
Emmanuel Macron a été le seul dirigeant occidental à affirmer que l'Azerbaïdjan avait provoqué le conflit dans le Haut-Karabakh, et accusé la Turquie d'avoir envoyé 2 000 mercenaires syriens de groupes jihadistes pour participer aux combats.
Mais le président français s'est finalement abstenu de prendre partie, suscitant les critiques et les protestations de la diaspora arménienne, entre 400 000 et 600 000 personnes en France, qui lui reproche de ne pas en faire suffisamment pour soutenir Erevan.
"Intellectuellement, la France est à cent pour cent avec nous, explique Sevag, mais maintenant il y a des liaisons économiques avec la Turquie. Soit c'est le pays de droits de l'Homme, soit c'est le pays de l'argent" Le nombre de personnes réunies à ce rassemblement placée sous haute protection policière, a été moins important que l'an dernier à cause des restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Le troisième confinement, toujours officiellement en vigueur en France, n'a cependant pas entamé la détermination des participants. "Nous, les Arméniens, nous ne sommes pas dans l'agressivité. Mais si on se fait massacrer même en France, il faut faire quelque chose".